Bien qu’aucun président ni aucune majorité parlementaire de la Vème République n’aient cru devoir remettre en cause l’engagement européen du pays, la France semble éprouver à l’égard de ses engagements européens un profond malaise.
Cela se traduit par le peu d’intérêt et donc la méconnaissance de nos partenaires au sein de l’Union, par une incompréhension globale des mécanismes communautaires et, plus généralement, au quotidien, par un rejet épidermique du principe même du partage assumé d’attributs de souveraineté, une sorte de fierté gauloise mal placée.
Mais cette fierté, à l’origine des plus belles pages de notre histoire et de cet esprit de résistance qui permet à notre pays de toujours se relever, en réalité, n’a pas lieu d’être avec la construction européenne. Celle-ci organise une coopération volontaire d’Etats souverains, que nous avons voulue, qui est encadrée par des traités et des procédures, facilitées par des institutions et liée par des intérêts communs.
Ce malaise relève plutôt de la mauvaise pratique française envers l’Union européenne. Faute de s’y investir autant qu’il le faudrait, la France met souvent en danger ses intérêts. La politique européenne de la France souffre du peu d’implication de ses responsables, à commencer par les différents ministères.
Le projet d’accord avec le Mercosur, dont les négociations ont commencé en 2000. Depuis le temps, avons-nous veillé à protéger notre agriculture par quelques mesures précises la préservant, permettant par ailleurs de ne pas se priver des marchés sud-américains au demeurant prometteurs pour elle et pour notre industrie ? Le réveil tardif et consensuel de l’opposition à cet accord nécessaire est au mieux suspect, au pire accablant.
D’autres exemples du même acabit pourraient être cités concernant la négociation des directives et des règlements (temps de travail des militaires, protection des données et lutte contre le terrorisme, etc.). Ne conviendrait-il pas de s’interroger sur l’efficacité de la conduite de la politique européenne de la France au moment où une nouvelle Commission européenne entre en fonction le 1er décembre ?
Elle s’est fixée toute une série de nouveaux objectifs qui nous concernent et, par exemple, la rédaction d’un Livre blanc sur la défense, qui n’est pourtant pas de sa compétence et fait double emploi avec la « Boussole stratégique » rédigée par les gouvernements ? Sommes-nous certains d’avoir bien travaillé sur le projet de Programme industriel de défense pour l’Europe (EDIP), actuellement en discussion au Parlement européen, qui ne parvient pas à accepter le principe de la préférence européenne et créé une nouvelle structure européenne de désignation des armements ?
Avons-nous compris que la politique européenne c’est désormais de la politique intérieure ? Et en avons-nous tiré les enseignements ?
Le Premier ministre ou un vice-Premier ministre devrait assumer plus officiellement la conduite technique des positions françaises au sein des institutions européennes. Michel Barnier, pour ces raisons, a nommé auprès de lui un ministre des Affaires européennes et il a annoncé vouloir mettre un terme à la surtransposition des textes européens, qui est justement une conséquence du peu de cas dont la dimension communautaire fait preuve au sein de nos administrations techniques.
Il appartient maintenant à chacun des acteurs concernés mais d’abord à nos ministres, quels qu’ils soient, de s’impliquer davantage, ne serait-ce que pour les modérer, dans l’élaboration des règles européennes. Et à l’ensemble de nos dirigeants, parlementaires en tête, d’intégrer davantage la dimension continentale des intérêts fondamentaux de la France. Ainsi freinerons-nous enfin une boulimie de normes et de contraintes si préjudiciables à notre économie et si exaspérantes pour les citoyens et profiterons-nous plus systématiquement de la plus-value européenne.
Alors, peut-être, ce malaise français s’estompera-t-il au profit d’une confiance et d’une fierté renouvelées.
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